Il faut souffrir pour être patron : souffrance au travail et solitude du dirigeant
Le dirigeant d'une entreprise est-il voué à souffrir, et à souffrir en silence ? Éclaircissements sur la souffrance au travail et la solitude du dirigeant.
Cela ne vous aura pas échappé, on parle de plus en plus de santé au travail. Des mots tels que bien-être, qualité de vie sont devenus courants au sein de l'entreprise, et c'est tant mieux ! Les évolutions sociétales et culturelles, en lien avec les
évolutions législatives permettent notamment d'améliorer le vécu des salariés au travail. Des mesures sont mises en place, des formations sont dispensées, et les mentalités évoluent peu à peu. Car oui, un salarié bien dans son travail est un salarié qui produit plus, et donc une entreprise qui se porte mieux. Mais qu'en est-il de la
souffrance au travail et de la solitude du dirigeant ?
Des préjugés et des stéréotypes qui ne facilitent pas les choses
Les préjugés et stéréotypes ont la vie dure en entreprise. Chaque "camp" a une vision... Particulière de l'autre. Si on caricature :
Les
salariés sont vus comme ne voulant pas s'impliquer dans la vie de l'entreprise. Ils sont passifs et ne sont jamais satisfaits de tout ce que les dirigeants mettent en place pour eux. Etc.
Les
dirigeants sont vus comme les grands méchants, qui prennent pour eux tout l'argent que les salariés ramènent dans l'entreprise. Ils exploitent les salariés, ne sont pas reconnaissants et se fichent du bien-être de ces derniers. Etc.
Blague à part, on se fait vite rattraper par la réalité des choses. Oui , les salariés peuvent souffrir au travail. Les risques psycho-sociaux (RPS, ou
herpès comme on a entendu un professeur en psychologie les appeler) sont réels, et de mieux en mieux appréhendés et prévenus. Mais
on se penche beaucoup plus rarement sur le cas du dirigeant. Il peut ressentir de la souffrance au travail, lui aussi ! Et contrairement aux salariés qui peuvent faire face aux difficultés ensemble, ou du moins partager ce qu'ils ressentent, il est assez mal vu pour un patron d'aller voir ses employés en leur disant "je trouve que mon job est stressant". Est-il donc voué à la solitude ?
Les causes de souffrance au travail du dirigeant
Cette liste n'est pas exhaustive, mais voici quelques facteurs de souffrance au travail du dirigeant :
Le patron n'a pas d'heures.
Il ne les compte pas non plus, car son objectif n'est pas de remplir ses heures pour toucher son salaire à la fin du mois, mais de faire en sorte que tous ses salariés puissent toucher leur salaire à la fin du mois, et que l'entreprise prospère. Suivant cette logique, ils travaillent beaucoup et sont donc plus exposés au surmenage.
Le dirigeant est souvent impliqué financièrement dans l'entreprise. Il fait donc face à une pression importante au quotidien, car s'il fait une grosse erreur, les conséquences peuvent être graves et se répercuter sur sa vie personnelle. Cela peut être générateur de stress.
Sa journée ne se termine pas quand il quitte le bureau. Pour un dirigeant, son entreprise c'est son bébé. C'est à lui de faire en sorte qu'elle se porte bien. Beaucoup de dirigeants rentrent le soir et continuent de travailler de chez eux, ou tout simplement cogitent en permanence sur ce qu'ils ont fait, ce qu'ils devraient faire, etc. Ils peuvent donc développer un certain "stress de fond", et ne sont jamais tranquilles d'esprit.
Pourquoi le dirigeant est un éternel solitaire souffrant en silence
Le dirigeant est par essence celui qui dirige, donne le cap à l'entreprise. Il prend donc les décisions importantes, il incarne l'autorité. Le dirigeant est vu comme quelqu'un de responsable, et surtout, il est censé
représenter l'exemple dans l'entreprise. La représentation sociale du dirigeant a la vie dure ! Quand on se place dans ce rôle, il est ainsi tout de suite moins facile d'exprimer ses émotions aux autres.
Comme dans une famille, le dirigeant tel le père ou la mère se doit de
garder certaines choses pour lui. Imaginons qu'un gros contrat est en cours de négociation. S'il n'est pas signé, l'entreprise pourrait être en difficulté. Pendant les négociations, le dirigeant va ressentir un certain stress, car il connaît les conséquences s'il échoue. Hormis les collaborateurs directement concernés et qui peuvent faire avancer les négociations, est-il utile d'informer toute l'entreprise de la situation en cours et des enjeux de celle-ci ?
Pas vraiment, sauf si l'on veut stresser ses collaborateurs qui ne penseront qu'à la possibilité d'une issue négative et auront peur pour leur emploi. Autrement dit, "ce que tu ne sais pas ne peut pas te faire de mal". Le dirigeant ne peut pas tout dévoiler à ses collaborateurs, afin de ne pas les inquiéter s'il n'y a pas lieu d'être. Il prend donc sur lui, et peut se trouver plus ou moins seul dans la bataille.
Le patron est tout en haut : en haut de l'organigramme, de la pyramide, de la chaîne... Il n'a donc personne pour le couver, le protéger, l'aider : c'est lui qui est censé protéger les autres. Dans cette position, le dirigeant est seul au sommet. Prenons l'exemple du Président de la République. Qui voudrait de son travail ? Il a tout un ministère, des conseillers pour l'aider dans ses fonctions, mais au final, c'est lui et lui seul qui prend les responsabilités des échecs du gouvernement.
Ce que l'on entend souvent :
le patron a choisi d'être où il est. Et c'est vrai ! Personne ne lui a mis le couteau sous la gorge pour qu'il devienne dirigeant d'une entreprise. Il savait à quoi s'attendre, en général. Ce mode de pensée de la part des collaborateurs ne favorise pas vraiment l'échange avec le dirigeant... C'est un peu "tu savais que ça allait être dur, alors souffre en silence".
Que faire quand on est dirigeant ?
Pour les dirigeants qui nous lisent,
rassurez-vous, tout n'est pas noir, bien au contraire ! La souffrance au travail et la solitude ne sont pas des fardeaux que vous aurez à supporter pendant toute votre carrière. Les évolutions sociétales notamment en termes de management changent la donne. Un bon patron n'est plus un patron qui vit en autarcie dans son bureau.
Admettez vos erreurs : vous avez des failles, et comme tout le monde, vous faites des erreurs. Reconnaissez-les auprès de vos collaborateurs, échangez avec eux pour apprendre de vos erreurs. Vous êtes humain, et comme on dit, "l'erreur est humaine". Humanisez-vous auprès de vos salariés.
Jouez-la collectif : incluez vos collaborateurs dans vos processus de décision, demandez leur avis sur des dossiers, projets en cours. Même ceux dont vous ne pensez pas qu'ils peuvent vous aider. Ils auront justement une autre vision des choses qui vous permettra de prendre du recul, et de voir les choses sous un autre angle. N'ayez pas peur de déléguer, et de faire confiance. La reconnaissance au travail,
ça paie !
Échangez avec votre réseau professionnel (autres dirigeants) et personnel. Parlez de ce que vous ressentez, de ce que vous vivez au quotidien. Vous verrez que vous n'êtes pas le seul et que c'est normal de ne pas être au top tous les jours. Cela vous permettra aussi de trouver des solutions.
Faites du sport et prenez le temps : c'est classique, oui mais terriblement efficace. Le sport permet de réduire le stress, de se vider l'esprit pour mieux repartir. Vous dites que vous n'avez pas le temps d'en faire ? Prenez-le ! Vous n'êtes pas une victime dans la gestion de votre temps, c'est vous qui définissez les règles. Vous n'avez pas le temps car vous ne prenez pas le temps. Par exemple, si vous décidez d'aller courir une fois par semaine le jeudi soir à 18h, il ne tient qu'à vous de respecter cette règle. Pensez aussi à faire des pauses au travail, et évitez de manger un sandwich entre deux dossiers le midi. Vous n'êtes pas une machine de guerre.
Déconnectez. A l'heure où l'on parle de plus en plus au droit à la déconnexion, il apparaît comme essentiel de savoir s'arrêter. Ainsi, le soir, n'emmenez pas votre PC chez vous. En vacances, limitez votre consultation de mails à une ou deux fois par semaine, si vraiment vous ne pouvez pas faire autrement. Changez d'air ! Dites-vous bien que le bateau continuera à avancer, même sans vous. Il ne coulera pas. Vous avez des collaborateurs tous très talentueux qui sauront gérer les choses en votre absence. Si, si !
N'attendez pas pour tirer la sonnette d'alarme. Vous avez du mal à dormir, vous êtes tout le temps irrité, fatigué, vous n'êtes plus passionné comme vous l'étiez avant, vous ne voyez que le côté négatif des choses en permanence ? Prenez les choses en main, et prenez du recul sur ce qu'il se passe. Est-ce que c'est la vie que vous vouliez avoir ? Qu'est-ce que vous pouvez faire pour que les choses s'améliorent ?
Faites-vous accompagner. A l'instar de l'ANDRH qui a mis en place une
ligne d'écoute téléphonique pour les DRH, tournez-vous vers quelqu'un qui saura vous aider à traverser les difficultés. Le coaching peut vous permettre de repartir du bon pied, et ne pas tomber dans l'engrenage de la souffrance au travail. Quelques séances, et c'est reparti !
Pour aller plus loin
Site de l'
Observatoire sur la santé des dirigeants de PME Amarok
Un autre article sur la
souffrance au travail du dirigeant d'entreprise
Une
infographie réalisée suite à une étude de
Malakoff Médéric sur la santé du dirigeant en 2015